Confinés, angoissés, résignés, ankylosés, les Français attendent tout autant qu’ils redoutent le 11 mai prochain, date annoncée du déconfinement. Ces 8 semaines d’isolement contraint n’ont pas été vécues et ressenties de la même manière par chacun. Mais il est une chose que nous partageons tous : l’envie de vivre, de sortir et de faire repartir une économie tombée au point mort. Passer de « pause » à « play » au plus vite avant qu’il ne soit trop tard.
Ce mois de mai s’ouvre sur une relation profondément modifiée entre les individus. Désormais masqués, éloignés les uns des autres par le mètre établi par les règles de distanciation sociale. Privés de liberté de déplacement et de rencontres physiques. Un mois de mai, en somme, marqué par les impératifs de protection de la santé publique face au Covid-19. Cette crise, en France comme dans le reste du monde, aura un avant et un après.
D’un point de vue social, le confinement a engendré une pression mêlée d’angoisse collective et de peurs individuelles. Tant sur notre propre finitude que sur l’avenir économique de notre pays. C’est aujourd’hui dans un monde au bord de l’implosion qu’il va falloir réapprendre à vivre sous le régime de la « distanciation sociale ». Le déconfinement progressif qui se fait jour après jour dans la plupart des pays du monde pourrait relancer les mouvements de protestation - voire de rébellion - notamment de la part des plus démunis qui auront le plus souffert de l’isolement et de la crise économique qui s’installe. Dans une société où l’acceptation du risque (médical, financier, matériel) est à la baisse, la cohabitation avec le virus inquiète tant elle induit de véritables bouleversements dans nos modes de vie.
De retour au bureau ou à l’école où l’injonction sanitaire imposera la « distanciation sociale », les masques, gels et autres gestes barrières, comment retrouver ses collègues et amis, leur témoigner notre affection ou notre bienveillance ? Une poignée de main, deux bises pour se saluer, une accolade ou une tape sur l’épaule, tant de gestes de convivialité tellement ancrés dans notre tempérament latin qu’il nous paraît impossible de les oublier. Allons-nous devenir des asiatiques qui ne se touchent plus ? Bâtir, à coup d’hygiénisme, un royaume de défiance entre les gens, qui se verront les uns les autres comme de potentiels pestiférés ? C’est ce qui nous attend malheureusement ces prochaines semaines.>
À lui seul, le masque semble, à ce titre, symboliser le monde d’après Covid-19. Cet accessoire autrefois dédié aux professions médicales a fait subitement irruption dans notre quotidien, va peut-être nous devenir indispensable. Comment l’intégrer dans nos vies, alors que nous savons à peine le porter ? La personnalisation de ce morceau de tissu sera-t-elle la voie pour nous le rendre plus acceptable ? D’une barrière de protection pour la sécurité, il deviendrait alors une marque de notre identité, affichant nos goûts, nos couleurs et même nos valeurs que nous pourrions arborer même dans les lieux de fêtes. Les industriels de l’habillement ont déjà flairé le filon en intégrant les maques comme le nouvel accessoire « de l’été » dans leur collection. Ils sont adaptés à l’âge, aux tendances de la mode, et aux envies des consommateurs.
Agiles par obligation et résilientes par conviction, des PME comme CEPOVETT Group ont reconverti leurs lignes de production, pour produire des masques alternatifs en tissu, ou encore, le fabricant de crème pâtissière Agrodoubs qui, en l’espace de 4 semaines, a fait muter son outil de production pour fabriquer du gel hydro-alcoolique et sauver ses emplois. Quand la perte d’un cœur d’activité est rattrapée par l’économie guerre. Les professionnels de la restauration, eux, ont encore quelques semaines pour se réinventer : assurer un service de plats mitonnés à emporter et, pourquoi pas, le Chef qui s’invitera chez nous pour cuisiner entre amis.
« Demain on consommera du - comme au restaurant - à la maison. »Et pour cause : nos déplacements individuels sont désormais limités à un périmètre de 100 km. Sans grande surprise, l’été s’annonce confiné et le tourisme restera franco-français, reléguant à plus tard nos envies d’évasion. Le voyage est au bout du chemin. S’il s’agit d’une prévision optimiste pour l’hôtellerie française, encore faut-il s’assurer qu’un second épisode de confinement ne vienne pas doucher nos espoirs. Et si celui-ci devait se produire, combien d’entre nous pourraient encore le supporter ? Particuliers et entreprises, même combat. Qui plus est, pour les plus fragiles.
Ces inégalités feront le terreau de futurs conflits sociaux si le gouvernement ne se montre pas à la hauteur des enjeux du déconfinement. Car que l’on vive dans un HLM ou que l’on jouisse d’un jardin, la privation de liberté au nom de la santé n’aura pas le même impact. Les Français pour qui le confinement rime avec dégradation des besoins vitaux, perte d’emploi et de revenus, parfois conflits familiaux sont dans la résistance, pas encore dans la résilience. Comment mieux vivre en liberté surveillée ? L’une des réponses se trouve sans doute dans l’émergence du phénomène récent de tiers lieux. Des îlots de résilience, ancrés au cœur des territoires pour vivre les prochaines quarantaines, forcées ou souhaitées, pour se couper du monde, en totale autonomie. De nouvelles passerelles, entre villes et ruralité, souvent éloignées des grands centres urbains. Elles développent des activités décentralisées, partagées et utiles à la communauté : co-working, micro-ferme, savoir-faire d’excellence, habitat durable… Un contre-pied à notre société urbaine ultra-active et concentrée.
Car du virtuel, justement, on n’a jamais autant parlé. Du télétravail à Netflix, les écrans ont envahi nos vies. Zoom et Skype s’immiscent sournoisement dans le quotidien des salariés confinés, WhatApp a instauré le concept d’apéritifs à distance et de communications à plusieurs entre proches. Tous ces outils numériques nous ont permis de maintenir, tout en le réinventant, le lien physique… Jusqu’à quand ? Si boire, rire et manger par écrans interposés brisent, pendant quelque temps, notre solitude, une fois le smartphone ou l’ordinateur éteint, que reste-t-il ? La virtualité a certes créé de nouveaux écosystèmes de relations à distance (sites de rencontres, jeux en ligne…) le ciment social de notre communauté survivra-t-il à ces artefacts?
Peut-être et sans doute, dans un premier temps n’aurons-nous guère le choix. Alors, il faudra réinventer, aussi, le lien social. Cela passera, très certainement, par un regain d’instinct de préservation, nous appelant à nous recentrer sur nos cercles proches, familiaux et amicaux où la confiance sera garante de sécurité. Dans ce sens, la relation entre les seniors et nos enfants, deux populations que le Covid-19 a écarté et isolé, est un axe à cultiver pour une transmission intergénérationnelle. Car si, durant cette crise sanitaire, nos aînés ont été les plus frappés et sont parfois morts seuls de par l’impossibilité de leurs proches de se déplacer à leurs côtés, ce sont bien eux qui sont la mémoire de vie post-Covid-19 et incarnent, déjà, la sagesse de notre présent et de notre futur.
On le sait, beaucoup de choses devront changer dès ce mois de mai. Dans nos gestes, nos comportements individuels comme collectifs, notre regard à l’autre et notre engagement à vouloir préserver des vies pour éviter un re-confinement. Mais le principe de protection ne peut se faire à n’importe quel prix. Et surtout pas celui d’une catastrophe économique insurmontable pour les générations futures. Ne sacrifions pas notre liberté au nom d’une nouvelle obsession sanitaire. Car conserver la santé en renonçant à vivre n’a aucun sens. Pour cela, dès le 11 mai prochain, célébrons dignement le vivant et les vivants en réaffirmant nos libertés. Il serait salvateur de renoncer collectivement à notre rêve de toute puissance face à la mort.